«Notre départ du gouvernement serait la grande victoire des lobbys» (Interview P.Canfin, Libération)
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Interview publiée le 16/12

Avant la désignation houleuse des têtes de liste EE-LV aux européennes, samedi, Pascal Canfin, ministre du Développement, demande à son parti de valoriser les gains des écologistes au pouvoir. Au dernier congrès d’Europe Ecologie-les Verts, à Caen, Pascal Canfin est resté discret. Alors que ses camarades désignent leurs têtes de liste aux européennes ce week-end, le ministre délégué au Développement leur demande d’en finir avec la «polémique permanente».

INTERVIEW Par Lilian ALEMAGNA,

Comment parler d’Europe et d’écologie quand ce n’est plus tendance ?

En rappelant d’abord qu’aucun des problèmes auxquels la France est confrontée – désindustrialisation, maîtrise de la finance, lutte contre le réchauffement climatique… – ne peut uniquement se régler au plan national. C’est faux de laisser croire que la France s’en sortira seule.

Mais les écologistes peuvent-ils réussir sans Daniel Cohn-Bendit ?

On ne suscitera l’adhésion qu’en rappelant ce que les écologistes ont obtenu depuis cinq ans. Si les bonus des traders ont été limités, c’est grâce à nous. L’interdiction de produits financiers comme les CDS [Credit Default Swaps, produits financiers permettant au détenteur d’un emprunt de se protéger contre un éventuel défaut de son débiteur, ndlr], c’est aussi nous ! Si, en 2014, toutes les banques européennes devront dire combien de personnes elles emploient et combien d’impôts elles paient par pays pour débusquer la fraude dans les paradis fiscaux, on le doit aux écologistes ! Qui a fait le plus en cinq ans contre la finance en Europe ? Ce ne sont pas le Front de gauche et Jean-Luc Mélenchon. C’est nous. Nous ne mettons pas assez en valeur nos victoires.

Comment l’expliquer ?

L’écologie politique s’est construite comme un contre-pouvoir. Nous avons encore trop de mal à acquérir la culture du pouvoir. «On jouit moins de ce qu’on obtient que de ce qu’on espère», a écrit Rousseau. C’est une explication de notre faiblesse actuelle.

Vos «victoires» dans ce gouvernement sont maigres…

L’écologie ne se résume pas à l’environnement. C’est un projet de société global. Pour moi, c’est le nouvel humanisme du XXIe siècle. La finance, le logement, la consommation… ce sont des combats profondément écologistes. La priorité environnementale a reculé au profit des questions sociales et de pouvoir d’achat. A nous de montrer les bénéfices économiques et sociaux de nos propositions.

Mais quelles sont ces «victoires» ?

L’interdiction des gaz de schiste, la transparence bancaire, la lutte contre la fraude fiscale ou encore l’encadrement des loyers… Pour la première fois sous la Ve République, la France va se doter d’une loi sur le développement. Avant, on votait un budget sans discuter du contenu de notre politique. On instaure une transparence, un contrôle de l’utilisation de cet argent. C’est la fin de la Françafrique ! L’aboutissement d’un combat de trente ans à gauche ! Avoir obtenu qu’une «contribution climat énergie» rapporte 4 milliards d’euros en 2016, taxer enfin la pollution plutôt que le travail, et encourager la consommation de produits écologiquement vertueux, c’est aussi une première ! L’écologie est un sport de combat. Notre départ du gouvernement serait la plus grande victoire des lobbys.

Une écologie «positive»…

Et combative ! Lorsque le ministère du Redressement productif demande à un cabinet de conseil de pointer les nouvelles filières industrielles de la France, plus de la moitié sont liées à l’économie verte ! Pourquoi aucun écologiste ne le dit ? Appuyons-nous là-dessus plutôt que de perdre du temps à répondre aux provocations d’Arnaud Montebourg. La polémique permanente ne fait pas une ligne politique mais un bruit de fond qui rend nos propositions inaudibles.

Mais vous avez quand même du mal à convaincre les socialistes…

C’est une autre de nos erreurs : ce sont les Français que nous devons convaincre, pas le grand frère socialiste. Il faut sortir du complexe du minoritaire. Si on a gagné la bataille sur les OGM ou les gaz de schiste, c’est parce qu’on a gagné la bataille des idées dans la société.

Pourquoi Pascal Durand, chef du parti jusqu’ici, n’a-t-il pas réussi à le faire peser davantage ?

Il n’avait pas toutes les manettes… Que veut-on faire de ce parti ? Rester à 4 000 votants, comme au dernier congrès, avec 200 cartes tenues par une personne, ou être à la hauteur des enjeux ?

Pensez-vous que votre nouvelle secrétaire nationale, Emmanuelle Cosse, peut réussir ?

Venant de la société civile, elle connaît le danger de rester dans une logique d’entre-soi.

Elle ne veut plus parler de «lignes rouges». Etes-vous d’accord ?

Nous devons fixer des objectifs politiques identifiés. Cet automne, nous avions trois marqueurs : maintenir le budget de l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie), obtenir de la fiscalité écologique et s’attaquer à celle du diesel. On a gagné sur les deux premiers. Perdu sur le troisième. J’en propose trois nouveaux : se battre pour obtenir en Europe une taxe sur les transactions financières la plus large possible ; être plus offensif sur l’harmonisation fiscale en Europe ; être ferme sur les contrôles des produits importés. Il est insupportable de voir arriver en Europe des produits qui ne respectent pas nos normes de sécurité. Nous avons des alliances à passer sur ces sujets avec les responsables et les salariés de PME qui souffrent de cette concurrence déloyale.

A EE-LV, on s’écharpe sur les têtes de liste aux européennes, pas sur le programme…

A ce stade de la campagne, c’est normal. Karim Zéribi a fait le choix de s’engager dans les municipales à Marseille. Or se présenter en même temps à deux élections n’est pas dans notre ADN. Je soutiens la candidature de Michèle Rivasi dans le Sud-Est. Quant à José Bové, on ne peut pas dire qu’il pourrait être notre candidat à la présidence de la Commission européenne et ne pas le mettre tête de liste. Ça n’a pas de sens.