Pascal Canfin : « Notre politique d’aide au développement entre dans la modernité » (interview LeMonde, 11/12/13)
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  • Le conseil des ministres a adopté, mercredi 11 décembre, le projet de loi d’orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale présenté par Pascal Canfin, ministre délégué au développement auprès du ministre des affaires étrangères. Ce projet confirme la priorité accordée en matière d’aide publique à seize pays africains et place la protection de l’environnement au centre des politiques conduites par la France dans les pays du Sud.

Pourquoi voulez-vous faire voter une loi d’orientation en matière d’aide au développement ?

Jusqu’à présent, le Parlement se contentait de voter le budget de l’aide. Nous avons voulu mettre en débat l’ensemble de la politique française en la matière, notamment ses objectifs et ses modalités de mise en œuvre.

C’est une avancée démocratique, à l’opposé de ce qu’était la Françafrique, qui faitentrer dans la modernité notre politique d’aide au développement jusqu’à présent critiquée pour son opacité, par les ONG comme par l’OCDE.

S’il s’agit d’une loi de programmation, pourquoi n’y trouve-t-on pas d’objectifs précis sur l’évolution de l’aide ?

Tous les chiffres des lois de programmation sont indicatifs. Nous n’avons pas de marge de manœuvre budgétaire pour décider aujourd’hui une trajectoire chiffrée pour faire passer la proportion de l’aide de la France rapportée à son produit intérieur brut (PIB) de 0,46 % cette année à 0,7 %, comme l’ONU le demande.

En revanche, nous préservons nos capacités d’intervention grâce aux financements innovants, puisque nous avons augmenté la contribution de solidarité sur les billets d’avion et consacré à la solidarité internationale une partie de la taxe sur les transactions financières.

Comme l’a promis le président de la République, dès que cette période budgétaire difficile sera passée, nous reprendrons notre marche vers le fameux 0,7 % qui n’est en rien abandonné.

Quels sont les enjeux de ce texte ?

Nous faisons clairement du développement durable la finalité de notre politique d’aide. Celui-ci a d’abord une dimension sociale, car 1,3 milliard d’hommes et de femmes vivent toujours avec moins de 1 euro par jour.

La deuxième priorité est le développement économique. Ces deux objectifs doivent s’inscrire dans un nouveau modèle de développement, car si les pays émergents et en développement suivent la même trajectoire que nous en matière d’utilisation d’énergies fossiles et d’émissions de CO2, alors nous sommes certains d’aller dans le mur sur le plan du réchauffement climatique.

La France, qui fournit 10 % de l’aide publique mondiale et qui est le quatrième donateur de la planète, a une responsabilité particulière pour promouvoir un autre modèle de croissance. C’est pourquoi nous ne finançons plus ni les centrales électriques au charbon, ni les OGM, mais les sources d’énergies renouvelables et l’agriculture familiale.

Pourquoi donnez-vous la priorité à l’Afrique ?

Où sont les besoins les plus pressants, sinon en Afrique ? Où sont les pays qui sont les moins à même d’atteindre les objectifs du Millénaire de réduction de la pauvreté ? En Afrique.

C’est pourquoi 85 % de nos dons sont destinés à ce continent. Et cela se fera en toute transparence. Nous avons lancé en septembre un site Internet qui permet à chacun de voir à quel stade en sont les projets de reconstruction du Mali que nous finançons pour 280 millions d’euros. Cette transparence sera étendue à 16 pays africains en 2014.

Pourquoi différenciez-vous l’aide française selon les pays ?

On ne peut plus raisonner comme si le Sud était un. Il y a peu de choses en commun entre la République de Centrafrique et la Chine. Il fallait donc différenciernos outils.

Pour les pays les plus pauvres, notre aide est essentiellement constituée de dons dans des domaines comme la santé ou l’éducation. Pour les « néo-émergents », nous privilégions les prêts dont nous réduisons le taux d’intérêt, par exemple pourfinancer la construction de centrales géothermiques au Kenya.

Dans les grands émergents comme la Chine, nous mettons trois conditions à notre participation.

Première condition : il faut que le projet contribue à la gestion des biens communs mondiaux comme la protection de la forêt ou la réduction des émissions de CO2.Aider les Chinois à construire des villes durables est un enjeu majeur car 500 millions de Chinois vont s’urbaniser d’ici à 2050.

Deuxième condition : cela ne doit avoir aucun coût pour l’Etat et le contribuable français. La Chine rembourse nos prêts qui ne bénéficient d’aucune bonification.

Troisième condition : puisque la Chine demande de l’expertise dans les domaines environnementaux, la France apporte le savoir-faire de ses entreprises et de ses chercheurs.

Quel est le traitement réservé aux pays dits « en crise » ?

Au Mali, il nous faut gagner la bataille de la paix, puisqu’il n’y a pas de sécurité sans développement ni de développement sans sécurité. Nous avons mobilisé 3,2 milliards d’euros sur deux ans de l’ensemble de la communauté internationale.

Je suis chaque mois l’avancement de la remise en marche des services publics par le gouvernement malien. En six mois, la mission d’évaluation a recensé 800 millions d’euros de décaissements.

C’est pourquoi, dans le même esprit, en Centrafrique, où viennent de débuter les opérations militaires, nous nous tenons prêts avec l’Union européenne à une reprise de l’aide pour appuyer le processus électoral à venir.

Pourquoi avez-vous fixé des indicateurs d’efficacité ?

Nous étions en retard sur d’autres pays qui disposent d’indicateurs pour apprécierl’efficacité de leur politique d’aide au développement.

Nous avons donc arrêté 30 indicateurs, notamment sur l’accès à l’eau potable, la scolarisation des enfants ou l’accès aux traitements contre le Sida. Ils seront alimentés par l’Agence française de développement et nos ambassades.

Cela vous servira-t-il à faire comprendre aux Français ce qu’est l’aide au développement ?

Il est vrai que l’aide au développement est peu connue des Français, alors que notre pays est, par exemple, le premier donateur mondial dans le domaine de la santé, rapporté à son PIB.

Nous pouvons être fiers de cette solidarité qui permet, par exemple, aux deux cents mères séropositives suivies dans un centre de santé de Cotonou (Bénin) de ne plus transmettre le sida à leurs enfants. Quand on voit ces enfants, on se dit que cet argent sert à quelque chose !

Il se trouve toujours plus de 60% de personnes interrogées pour dire qu’il fautmaintenir ou augmenter notre effort financier. L’idée que nous ne devons pas faire payer notre crise aux plus pauvres en réduisant notre aide est majoritaire dans la société française.

Propos recueillis par Alain Faujas